PÉTRARQUE

PÉTRARQUE
PÉTRARQUE

Père de la poésie moderne et de la culture humaniste, auteur en langue vulgaire de cet immortel Canzoniere (Rerum vulgarium fragmenta ), qui a suscité des foules d’imitateurs en Italie et dans toute l’Europe et qui a marqué la poésie amoureuse en Occident jusqu’au romantisme et au-delà, et d’une œuvre en latin, impressionnante par sa masse et qui, de son temps, lui valut la couronne de laurier et la gloire, Pétrarque se présente comme une sorte de Janus regardant à la fois vers le passé et vers l’avenir, l’Antiquité et la chrétienté, la frivolité et le recueillement, le lyrisme et l’érudition, la turbulence et le repos, l’intérieur et l’extérieur.

Avide des biens et des plaisirs de ce monde, follement ambitieux, actif, entouré d’une légion d’amis, de disciples, d’adulateurs, flatté et sollicité par les puissants – princes, papes et rois –, tenté et très souvent séduit par la politique – il accepta d’innombrables missions –, il est aussi ce méditatif épris de la solitude dans laquelle il s’est enfermé pendant longtemps et qu’il a élevée au rang d’un mythe. Voyageur infatigable, curieux des mœurs et des choses, amant intrépide de la nature et en même temps érudit, archéologue, philologue, lecteur subtil et passionné des auteurs latins, promoteur de l’étude du grec, même lorsqu’il est tourné vers les Anciens, il est plongé dans l’actualité: conformément à son double rôle de précurseur et de médiateur, il cherche moins, dans les œuvres du passé qu’il admire, des modèles à copier qu’un moyen, en renouant avec les traditions, en retournant aux origines, d’aller de l’avant, de créer ce monde moderne où la morale et la philosophie de l’Antiquité et la foi chrétienne se fondraient, réconciliées.

Les années de jeunesse et la formation

François Pétrarque est né à Arezzo le 20 juillet 1304, du notaire Ser Pietro (Petracco) di Ser Parenzo, originaire d’Incisa dans le Valdarno, et d’Eletta Canigiani. Ser Pietro avait été banni de Florence où il exerçait sa profession, sans doute en raison de démêlés personnels avec Albizzo Franzesi, l’un des chefs de la faction des «Noirs», et non pour des motifs politiques comme son fils le laisse entendre. Pétrarque quitte Arezzo à l’âge de un an et ses parents s’installent à Pise (où Pétrarque enfant a peut-être vu Dante) puis, en 1311, en Avignon, alors siège de la papauté, où son père, grâce à l’amitié du cardinal Niccoló da Prato, espère obtenir une charge lucrative.

Par suite des difficultés de logement, la famille s’établit dans la ville voisine de Carpentras, où le jeune François entreprend l’étude de la grammaire, de la rhétorique et de la dialectique sous la direction d’un modeste maître florentin, Convenevole da Prato, avant de se rendre à Montpellier sur l’ordre de son père pour suivre, pendant quatre ans, des cours de jurisprudence. C’est en 1318 ou 1319 qu’il écrivit les premiers vers latins qui nous restent de lui; ils furent écrits à l’occasion de la mort de sa mère. De la même époque datent peut-être ses premières lectures et sa découverte des auteurs latins. À l’université de Bologne, où, en compagnie de son frère Gherardo, il poursuit de mauvaise grâce ses études de droit jusqu’en 1326, il consolide son amitié avec Guido Sette, noue avec Giacomo Colonna des liens qui dureront jusqu’à la mort de ce dernier, approfondit l’étude des auteurs de l’Antiquité, élargit ses connaissances de la nouvelle poésie en langue vulgaire.

Revenu en Avignon en 1326 – à la mort du père –, il abandonne définitivement le droit et entre dans les ordres mineurs, décision qui, sans lui imposer de véritables devoirs ecclésiastiques, lui permet d’obtenir bénéfices et canonicats. Là, pendant quelques années, Pétrarque vit de la vie mondaine et raffinée de la cour, où l’élégance de sa culture et l’excellence de ses premières œuvres poétiques l’imposent à l’admiration générale. À une adolescence toute pénétrée de l’amour de Dieu et de la vertu et hantée par le sentiment de la fragilité humaine succède une période de dissipation qui coïncide avec la naissance de son amour le plus célèbre (Secretum meum , III, VI-VII): «Celle qui seule me paraît être maîtresse» (Canzoniere , CXXVI).

Le 6 avril 1327 en l’église de Sainte-Claire à Avignon, Pétrarque aperçoit Laure, la femme qui inspirera sa poésie, mais non son œuvre entière, encore moins sa vie comme l’ont voulu les romantiques. Tout un courant de pensée marqué par le positivisme s’est obstiné à donner un nom et un visage à la dame du Canzoniere. On a tour à tour évoqué Laure de Noves, épouse de Hugues de Sade, Laure de Sabran, Laure de Chiabau, Laure Colonna... Cette recherche maniaque a, par réaction, produit la tendance contraire, déjà fort répandue chez les pétrarquistes de la Renaissance qui ne voulaient voir en elle qu’un pur symbole ou senhal , pour parler le langage de la poésie provençale, une personnification de la Beauté, de l’Intelligence et de la Vérité. Or, ni les images très précises qui tissent la matière lyrique, ni les transfigurations et les règles imposées par la tradition littéraire – sans compter les déclarations explicites de l’auteur lui-même (Familiares , II, IX) – ne permettent de réduire Laure à un symbole ou à une allégorie. Toutefois, il semble vain de rechercher l’identité d’un être que Pétrarque, si bavard par ailleurs sur tant de détails de sa vie, tait avec une remarquable obstination, comme si son état civil et sa condition importaient peu: Laure ne vit que dans ses rimes et par ses rimes, elle est création du poète, même s’il n’est pas permis de douter qu’à l’origine de ce motif poétique il y eut une créature de chair et de sang que Pétrarque a vraiment connue et aimée. En outre, il convient de remarquer que sa divine inspiratrice ne paraît pour ainsi dire pas en dehors du Canzoniere (où du reste transparaissent d’autres amours) et qu’elle n’occupe qu’une place fort modeste dans une œuvre immense, caractérisée en réalité par des intérêts moraux, religieux, culturels, littéraires, historiques, civiques et politiques, lesquels, comme le prouvent amplement les documents et les textes que nous possédons, ont dominé et orienté sa vie.

Entre Terre et Ciel

Invité en 1330 par son ami de Bologne, Giacomo Colonna, alors évêque de Lombez, Pétrarque passe dans la petite ville gasconne «un été quasi divin grâce à la franche allégresse du maître de céans et de ses compagnons». Il entre ensuite chez le frère de Giacomo, le cardinal Giovanni Colonna, au service duquel il restera jusqu’en 1347, «non comme sous l’autorité d’un maître, mais plutôt comme sous la protection d’un père ou mieux d’un très tendre frère». Ce sont des années fécondes jalonnées par des voyages studieux et des périodes d’austère retraite, où alternent les rêves de gloire et les travaux humbles et acharnés de la création littéraire. En 1333, en homme de science avide de connaître gens et choses, il parcourt la France, le Brabant, la Rhénanie. À Paris, c’est la révélation des Confessions de saint Augustin, lues pour la première fois avec passion. À Liège, il sent le Pro Archia de Cicéron comme le grand manifeste de l’essence de la poésie. Sa vocation lui apparaît alors déjà clairement: avec la mise en chantier de ses deux plus vastes et plus significatives œuvres en latin, le De viris illustribus (1338-1353) et Africa (1338-1342), s’affirme son rôle de médiateur entre la culture classique et le message chrétien, se précise sa figure de précurseur et de héros de l’humanisme occidental. Au début de 1337, il réalise un de ses rêves les plus chers; il se rend à Rome pour la première fois et admire, «confondu par tant de choses grandes et belles», les vestiges de l’Antiquité et les saintes reliques.

Vaucluse: solitude et fécondité

De retour en Provence, cherchant à fuir la vie agitée et corrompue d’Avignon toute bruissante des souvenirs de ses années les plus frivoles, il élit domicile à quelques lieues vers l’est, dans la solitude de Vaucluse, aux sources de la Sorgue, lieu qui restera longtemps son refuge sacré, son Hélicon. C’est dans cette retraite qu’en 1340 lui parvient, à la fois de Paris et de Rome, l’invitation à recevoir la couronne de poète qu’il avait sollicitée, certes par ambition, mais aussi pour célébrer finalement, après mille ans d’injurieux oubli, le retour au culte des études littéraires et de la poésie. C’est pourquoi, du reste, il accorde sans hésiter la préférence au Capitole sur la Sorbonne et c’est là que, le 8 avril 1341 (après un examen solennel à Naples où il est reconnu digne de ce suprême honneur par ce roi ami des lettres qu’était Robert d’Anjou), il reçoit des mains du sénateur romain, Orso dell’Anguillara, la couronne de laurier qu’il va déposer en un geste symbolique sur la tombe de saint Pierre.

Ce que l’on a appelé la «crise» de Pétrarque suit de peu cet événement: après une nouvelle période de mondanités et de plaisirs en Avignon (en 1343 naît sa fille naturelle Francesca), il s’engage avec fermeté vers une voie plus recueillie et plus ascétique. Il paraît excessif de parler de conversion ou de crise, alors que tant de vers, parmi les plus anciens, portent la trace de ses angoisses morales et religieuses. Le tourment intérieur qui s’aggrava au cours des années – peut-être en partie à la suite de la décision de son frère, compagnon joyeux de ses anciennes débauches, de se retirer à la chartreuse de Montrieux (en Provence) – se réduit au fond à une lutte entre une foi religieuse sincère et l’impossibilité d’y adapter sa conduite, en refusant les séductions et les honneurs terrestres: situation qu’il analyse lui-même avec une impitoyable lucidité dans le Secretum meum (Mon Secret , 1342-1343): «Plus d’une fois j’ai songé à secouer le joug ancien, mais il est fiché dans mes os... je mourrai au milieu de mes péchés, si le secours ne me vient pas du Ciel.» Plus que de crise, il serait donc juste de parler d’une évolution au sens moral et culturel du terme; cette évolution l’amène à considérer comme coupable son amour pour Laure, fût-il chaste et uniquement tendu vers la conquête du Bien, parce qu’il l’incite à aimer le Créateur à travers sa créature et non l’inverse, et que par là il témoigne de son attachement à la Terre. Cette même évolution le conduit à dépasser les limites d’une admiration trop exclusive pour l’Antiquité et à prêter l’oreille à de nouveaux et plus convaincants accents. Dans le De vita solitaria (1346-1371), l’antinomie entre culture classique et culture chrétienne paraît presque entièrement résolue; la solitude, ce grand mythe littéraire que Pétrarque a légué au monde humaniste et moderne, est pour lui le point de rencontre de l’otium litterarum des Anciens et de l’ascétisme chrétien, théorie qu’il développe dans le De otio religioso (Le Repos des religieux , 1347), où héros et maîtres à penser de l’Antiquité coudoient les prophètes, les saints et les Pères de l’Église. Ainsi le projet initial de De viris s’élargit-il, empruntant sa matière aussi bien à l’histoire sainte qu’à la profane.

Ces années voient se produire des événements qui ont joué un rôle primordial dans la vie et l’œuvre de Pétrarque: son enthousiasme désintéressé pour les rêves et les tentatives de Cola de Rienzo (1313 ou 1314-1354) pour instaurer un gouvernement populaire à Rome (attitude qui l’éloigne progressivement de la cure d’Avignon et l’amène en 1347 à rompre définitivement avec le cardinal Giovanni Colonna), la terrible peste de 1348 où périssent tant d’amis et Laure elle-même, la rencontre avec Boccace, la révélation de Quintilien en 1350, date que Pétrarque indique comme celle où il a renoncé pour toujours aux plaisirs des sens.

Entre ces pôles décisifs, la vie de Pétrarque se déroule, alternant les missions diplomatiques innombrables avec les haltes méditatives et créatrices. L’automne 1343 le trouve à Rome et à Naples, envoyé par les Colonna en ambassade auprès de la reine Jeanne; en décembre 1345, il est chez Azzo da Correggio, à Parme, où il complète le Rerum memorandarum libri (Des choses mémorables , 1343-1345), puis à Bologne et à Vérone, où – découverte capitale – il exhume les lettres de Cicéron Ad Atticum , Ad Quintum , Ad Brutum qui lui donnent l’idée de ses propres recueils de lettres; à la fin de 1345, il retourne en Avignon, mais, presque immédiatement, il se réfugie dans son Vaucluse bien-aimé pour deux années d’intense ferveur spirituelle et d’activité littéraire (Bucolicum carmen , 1346-1364; De vita solitaria , De otio religioso ). En novembre 1347, il repart de l’Italie, sans doute en mission pour le compte de Cola (que la révolution de mai a porté à la tête de l’État romain), mais la chute du tribun le contraint à bifurquer vers Vérone et Parme où – à part quelques déplacements – il reste une année avant de s’installer à Padoue, où le prince Giacomo Novello da Carrara lui avait obtenu un fort avantageux canonicat; dans cette ville, peuplée d’amis et de fidèles, il espérait «mettre un terme aux vagabondages et aux voyages», mais le seigneur de Padoue est assassiné et le désir prend Pétrarque «de revoir les collines et les eaux et les bois et le fameux pont de la Sorgue... et de mettre la dernière main à certaines petites œuvres, de manière à achever là-bas, avec l’aide de Dieu, l’ouvrage commencé avec la même aide» (Familiares , XI, XII). Rien, ni la visite de Boccace à Padoue, ni les entretiens intimes et graves avec son illustre contemporain, qui au nom de la Signoria vient lui offrir une chaire à l’université nouvellement créée de Florence, rien ne le retient. Il part en mai 1351 pour Vaucluse. «À Vaucluse je fus enfant, et lorsque j’y suis retourné adolescent, l’amène vallée, par sa position riante m’a apporté réconfort. Homme, j’ai passé doucement à Vaucluse mes meilleures années, tissant de fils candides la trame de ma vie. À Vaucluse, je désire finir mes jours et il me plaît mourir» (Familiares , XI, IV). En dépit de fréquentes apparitions en Avignon (surtout pour intervenir en faveur d’amis, dont Cola), cette quatrième retraite est particulièrement féconde: il refond et remanie le Canzoniere , commence avec les Familiarum rerum libri (env. 1349-1366) à donner vie à son projet de former un corpus de ses lettres, poursuit régulièrement la rédaction des Epistolae metricae (1348-1363), entame avec vigueur sa polémique contre les médecins, ennemis acharnés des Humanae Litterae , reprend et corrige nombre de ses précédents ouvrages. La visite à son frère, leurs saintes méditations dans la paix de la chartreuse semblent couronner idéalement, en 1353, cette période de profond recueillement.

La période italienne

La mort de ses amis les plus chers («nous étions une foule, nous voici presque seuls», Familiares , VIII, VII), l’hostilité du pape Innocent VI qui avait succédé en décembre 1352 au bienveillant Clément VI, les conflits de plus en plus âpres qui l’opposent à la curie d’Avignon à cause de Cola, de Rome et de sa polémique contre les médecins décident Pétrarque à quitter à jamais la Provence pour rentrer dans sa patrie; en mai, du haut du Mont-Genèvre, il salue l’Italie avec une éloquence émue: «Salut terre très sainte, terre chérie de Dieu, terre douce aux bons, aux superbes redoutable!» (Epistolae metricae , III, XXIV.)

Grâce à l’intervention de l’archevêque Giovanni Visconti, il s’installe à Milan, où, à part quelques rares parenthèses, il reste huit ans (1353-1361), bien que ses amis, surtout florentins, ne lui ménagent pas les reproches pour être devenu, lui naguère le défenseur de la liberté et de la solitude, le thuriféraire des tyrans ennemis de sa patrie, installé dans une ville bruyante, collaborateur actif d’une ambitieuse politique de conquête. Pourtant cette époque milanaise est une des plus heureuses et des plus fécondes de sa vie. Il termine la première véritable édition de ses Rime , se consacre aux Familiares , achève de composer le De remediis utriusque fortunae (1354-1360), travaille aux Triomphes (Trionfi , 1351-1374), compose l’Invectiva (1355) contre le cardinal Jean de Caraman et l’Itinerarium syriacum , revoit et ordonne ses écrits précédents. C’est au cours de cette période d’intense activité littéraire qu’il accueille dans sa maison Boccace et, comme pour symboliser leur parfaite entente spirituelle, il plante dans son jardin des lauriers fatidiques. Cette entente se maintiendra et se renouvellera jusqu’à sa mort par un constant échange de correspondance, de nouvelles, de livres, d’amis et surtout par d’autres rencontres toujours stimulantes et riches. Cette amitié exaltante, la plus féconde des lettres italiennes, prend la forme d’une action commune pour le renouvellement, à la fois chrétien et classique, de la culture italienne, voire européenne. En 1361, fuyant la peste qui ravageait la plaine du Pô, il se réfugie à Venise, «ville auguste, seul réceptacle à notre époque de liberté, de paix et de justice, dernier refuge des bons, port unique où peuvent trouver abri les vaisseaux de ceux qui aspirent à la tranquillité» (Seniles , IV, III). La Signoria fait don d’une maison sur la Riva degli Schiavoni à l’homme «dont la renommée est telle dans le monde entier qu’aussi loin qu’on remonte dans le temps il n’y eut jamais, parmi les chrétiens, poète qui puisse lui être comparé», et Pétrarque promet de léguer à sa mort tous ses livres à la République de Venise. Sa fille Francesca, son mari et leur petite fille Eletta viennent le rejoindre et leur bonheur réjouit ce père affectueux (en 1361, son fils Giovanni, «natus ad laborem ac dolorem meum », était mort de la peste). Il prend une part active à la vie et à la politique de la cité, ce qui ne l’empêche pas de poursuivre son œuvre littéraire dans la sérénité.

Mais l’affront qu’il subit (sans que la ville de Venise s’en émeuve) de la part de quatre jeunes disciples d’Averroès qui, tout en reconnaissant qu’il est «bon homme, voire excellent», le taxent d’«illettré, tout à fait ignare» parce qu’il croit plus au Christ et à l’Église qu’aux doctrines attribuées à Aristote, le détermine, après avoir répondu à ses détracteurs par le De sui ipsius et multorum ignorantia (1371), à changer une fois de plus de résidence et à se fixer à Padoue où il demeure jusqu’à sa mort, faisant la navette entre son domicile padouan et la maison qu’il avait acquise à Arquà, son dernier refuge.

Après le départ de sa fille pour Pavie, sa solitude spirituelle s’accentue, en dépit de l’amitié et de la dévotion dont il est entouré. On le pressent encore pour des missions politiques: en avril 1368, il va, en compagnie du seigneur et de l’évêque de Padoue, à la rencontre de l’empereur Charles IV qui, allié de la ligue contre les Visconti, descend en Italie; puis il se rend à Pavie et à Milan à l’occasion des noces de Lionel, puîné du roi d’Angleterre, et passe, objet de vénération, entre les armées ennemies.

En 1370, heureux de voir enfin réalisé son grand rêve du retour de la papauté à Rome, il s’achemine vers la Ville éternelle sur l’invitation d’Urbain V, mais une syncope lui interdit de poursuivre sa route. En 1372, il accompagne pourtant le fils du seigneur de Padoue Francesco Novello, battu par Venise, pour aller implorer son pardon à la Sérénissime; à cette occasion, il prononce un discours.

Toutefois, il ne cesse de travailler, remaniant encore et toujours ses œuvres anciennes (dont l’édition définitive de ses poésies), mais entreprenant également des ouvrages nouveaux: De gestis Caesaris , l’Invectiva contra eum qui maledixit (1373), contre Jean Hesdin, les dernières parties des Triomphes ; enfin il traduit en latin la centième nouvelle du chef-d’œuvre de son ami Boccace, celle de Griselda . Quand la mort le surprend, il travaillait seul dans le bureau de sa résidence d’Arquà: on le découvre le lendemain matin, le front incliné, d’après une pieuse légende, sur un manuscrit de son Virgile bien-aimé.

Modernité et Pétrarque

Pétrarque a occupé dans l’histoire de la poésie et de la culture de l’Europe chrétienne et moderne une place exceptionnelle: jamais peut-être écrivain n’exerça influence aussi décisive ni aussi prolongée; cette influence ne se limite pas en effet au champ de la littérature, elle embrasse la vie morale et politique. Si cette «présence» a pu être à ce point efficace, c’est qu’elle n’a cessé de rayonner, par la parole comme par la plume, qu’elle s’est imposée par le truchement d’un enseignement rigoureux et éloquent, par une œuvre prodigieuse ainsi que par une inlassable activité d’«inventeur» des trésors de la science et de l’art antiques; des textes que l’on croyait perdus ont été retrouvés par ses soins; philologue rigoureux autant que délicat, il en a illuminé d’autres par une lecture pénétrante et originale.

Sa poésie sublime (ses Nugellae vulgares , bagatelles auxquelles il tenait, à preuve le zèle amoureux avec lequel il les a tout au long de sa carrière polies et repolies), ses profondes réflexions morales et spirituelles, sa connaissance à la fois analytique et synthétique de l’histoire, sa croisade passionnée en faveur des humanités, toute son œuvre gigantesque tend à un même but et l’atteint: apporter en le dépassant une solution au problème séculaire de la conciliation du monde antique et de la culture païenne avec le monde chrétien et la foi; l’identité fondamentale des âmes humaines – découverte qu’il proclame avec force – lui est occasion constante à des retours au passé, à des rencontres, à des rapprochements, à des affirmations de vérités semblables, à des époques et sous des cieux divers. Les paroles de saint Augustin qui, au cours de l’ascension du mont Ventoux, flamboyèrent devant les yeux de son âme («Les hommes s’en vont admirer les cimes des montagnes, l’immensité de l’océan, les révolutions des astres et ils se détournent d’eux-mêmes») pourraient servir de devise à sa vie et à son art.

Depuis les grands moralistes de l’Antiquité, depuis les Pères de l’Église, personne peut-être n’avait témoigné pareille connaissance de l’homme, de ses misères et de ses grandeurs, personne ne s’était montré un champion aussi ardent de sa dignité et de sa vérité, un interprète aussi pathétique et subtil de son éternelle inquiétude, hors du sein de Dieu. «Je sens toujours quelque chose d’inassouvi en mon cœur», écrivait-il dans le Secretum , fidèle à la doctrine de saint Augustin. Aussi la figure de Pétrarque n’a-t-elle cessé de dominer de très haut cette école de pensée à qui l’homme a emprunté son nom, l’humanisme. C’est pourquoi également l’art qui exprime avec le plus de rigueur et de perfection les sentiments et les aspirations les plus constants et les plus élevés de l’homme passe nécessairement par Pétrarque, de Bembo à Michel-Ange et à Ronsard, de Góngora et Milton à Klopstock, de Shelley et Heine à Leopardi, Heredia et D’Annunzio.

Pétrarque
(Francesco Petrarca, dit en fr.) (1304 - 1374) poète et humaniste italien. Après des études à Montpellier et à Bologne, il reçut, en 1326, les ordres mineurs à Avignon, ce qui lui permit de mener une vie de cour, mais il écrivit une oeuvre abondante dont la postérité ne retint que Rimes et Triomphes, publiés en 1470 dans le recueil Canzoniere. Ces 367 pièces en toscan (pour la plupart des sonnets) célèbrent Laure (V. Noves).

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Поможем сделать НИР

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Petrarque — Pétrarque Francesco Petrarca Pétrarque peint par Andrea di Bartolo di Bargilla Galleria degli Uffizi, Florence Activité(s) …   Wikipédia en Français

  • Pétrarque — Francesco Petrarca Pétrarque peint par Andrea del Castagno[1] Galerie de …   Wikipédia en Français

  • Sonnet de Pétrarque — Sonnet Un sonnet (de l italien sonnetto ou sonetto aujourd hui[1]) est une forme de poème comportant quatorze vers dont la répartition typographique peut varier deux quatrains et deux tercets ou un seul sizain final par exemple et dont le schéma… …   Wikipédia en Français

  • Rue Pétrarque — 16e arrt …   Wikipédia en Français

  • Square Pétrarque — 16e arrt …   Wikipédia en Français

  • Africa (Pétrarque) — Africa est un poème épique en hexamètres latins composé par Francesco Petrarca. Il est composé de neuf livres avec des lacunes au IV et au IX, et est dédié au roi Robert Ier de Naples. Ce premier gros ouvrage est fondamental pour Pétrarque car il …   Wikipédia en Français

  • Littérature de la Renaissance — Pétrarque, figure majeure des débuts de la Renaissance littéraire italienne. La littérature de la Renaissance s inscrit dans le mouvement plus général de la Renaissance, qui naît en Italie XIIIe siècle et se prolonge jusqu au… …   Wikipédia en Français

  • Laure de Sade — Laure de Sade, Villa Torlonia, Rome …   Wikipédia en Français

  • Canzoniere — Le Canzoniere (Chansonnier) ou Rerum vulgarium fragmenta (Fragments composés en vulgaire) est un recueil de 366 poèmes composés en italien par l écrivain Francesco Petrarca et consacrés à son amour intemporel : Laure, que Pétrarque aurait… …   Wikipédia en Français

  • Fontaine-de-Vaucluse — Pour les articles homonymes, voir Fontaine et Fontaine de Vaucluse. 43° 55′ 23″ N 5° 07′ …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”